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Barolo, une histoire entre tradition et modernité (1/2)

Les botti de Marchesi di Barolo

Si vous êtes un habitué de ces pages, vous vous souvenez certainement de notre visite de Barolo (en trois parties) de 2018. Notez que si ce n’est pas le cas, vous pouvez toujours cliquer ici. Je ne reviendrais pas dans ce billet sur la spécificité de Barolo, du cépage nebbiolo. Déjà car cela ferait une redite, mais aussi car j’avais envie de vous partager un bout de l’histoire de ce vignoble, et ce qui fait sa célébrité et spécificité : sa relative jeunesse et son tiraillement entre une certaine tradition et une grande modernité. Pour commencer, retournons un peu dans le temps et l’histoire de Barolo…

La création du vignoble de Barolo

Comme de nombreux vignobles européens, on trouve des traces de viticulture dans la région du Piémont italien dès l’antiquité, avec une accélération lors de la période romaine. Néanmoins, l’apparition réelle de Barolo comme appellation, du moins comme vin reconnu comme tel, vient du XIXe siècle. Et, cocorico, vient en partie d’une influence française, celle de Juliette Colbert, descendante du Jean-Baptiste Colbert, ministre de Louis XIV. Juliette Colbert était la dame d’honneur de l’impératrice Joséphine, et c’est là qu’elle rencontrera celui avec qui elle passera sa vie : Carlo Tancredi Falletti ou Tancredi Falletti Di Barolo.

En s’installant avec lui dans la ville de Barolo, ils vont mettre en place de nombreuses choses. Le vignoble s’appuyait déjà sur les travaux de Paolo Francesco Staglieno pour produire des vins secs. C’est notamment sur l’affinage du vin que Juliette Colbert et Tancredi Falletti vont apporter de la nouveauté avec une technique de vieillissement en larges fûts de chênes de plusieurs milliers de litres. Ce processus de vieillissement lent permettait au vin de s’adoucir et de développer des arômes complexes. Cependant, la vinification impliquait toujours de longues périodes de macération où le jus de raisin restait en contact avec les peaux, les pépins et parfois les tiges pendant plusieurs semaines. Cette technique extrayait donc une grande quantité de tannins, donnant au vin sa structure robuste et une grande capacité à vieillir, mais le rendait aussi très difficile à boire dans sa jeunesse.

La plus ancienne bouteille de Barolo conservée, à Marchesi Di Barolo de 1895

Autre tradition « française », Juliette Colbert donnera au vin le nom du village où il est produit. C’est à dire : Barolo.

Cela n’empêchera pas les vins nouveaux de Barolo d’être désignés vins favoris de la Maison de Savoie, et commencera à se faire un nom sur les cartes viticoles d’Italie.

Fin du XIXe siècle et début du XXe : les défis pour les vins de Barolo

À la fin du XIXe siècle et au début du XXe, le Barolo continue de se développer, avec l’établissement de règles plus strictes concernant sa production. Les vignerons commencent à comprendre l’importance du terroir et sélectionnent avec soin les parcelles les plus adaptées à la culture du Nebbiolo, le cépage emblématique du Barolo. Cette analyse amènera progressivement à la cartographie actuelle de Barolo, comptant 11 villages et approximativement 170 crus !

Vue du terroir de Barolo

Pour la petite histoire, les terroirs exploités par Juliette Colbert et Carlo Tancredi Falletti étaient basés sur le village de Barolo, et plus précisément sur le cru Cannubi qui est aujourd’hui internationalement connu.

La fin du XIXe siècle est marquée, comme toujours en Europe, par l’épidémie de phylloxéra qui ravagera le vignoble de Barolo qui se remettra avec les techniques de greffage et la replantation des vignes bien connue.

Le début du XXe siècle est une période de consolidation pour le Barolo, avec la reconnaissance officielle de son aire de production et l’établissement des premières réglementations visant à protéger son identité et sa qualité. Malgré les difficultés économiques et les deux guerres mondiales, le Barolo maintient sa réputation de vin de haute qualité, posant les bases de son succès actuel.

Le Barolo a cette période était un vin donc de blend où l’on mélangeait différents crus dans ces mêmes grands fûts pour les affiner. On trouvait donc le style d’un producteur – ou d’un négociant – par rapport à ses assemblages, à la manière d’une maison champenoise aujourd’hui. Cependant, cela ne plaisait pas à une nouvelle génération…

La révolution et la guerre du Barolo

Dans les années 1970 et 1980, un groupe de producteurs, plus tard surnommés les « Barolo Boys », a commencé à expérimenter avec des méthodes de vinification visant à produire des vins plus accessibles dans leur jeunesse. On trouve dans ce groupe un certain nombre de vignerons qui sont devenus depuis des stars tels que Elio et Silvia Altare, Sandrone Luciano, Domenico Clerico, Giorgio Rivetti, Beppe et Marta Rinaldi, Roberto Voerzio, Chiara Boschis, Lorenzo Accomasso, Elio Grasso, Angelo Gaja (plutôt sur Barbaresco) ou Alessandro et Bruno Ceretto. Cette jeune génération va donc tenter de nouvelles méthodes. Cela implique un changement dans la culture avec des vendanges en vert pour mieux concentrer les grappes, et au chai en réduisant le temps de macération et en utilisant des plus petits fûts. Fûts également plus souvent en chêne français neufs.

La gamme des vins de Sandrone Luciano

En produisant ainsi des vins plus facilement buvables jeunes avec moins de tanins et plus fruités, ils vont faire renaître l’appellation à l’international… et notamment aux Etats-Unis. La rançon de la gloire a néanmoins impliqué un changement dans le profil gustatif du Barolo. Plus rapidement accessibles pour le grand public, les traditionalistes critiqueront le côté trop vanillé et boisé de ces Barolo. Trop contemporain, pas assez « Barolo ».

Ce conflit sera nommé « la guerre du Barolo », rendant l’histoire encore plus intéressante.

L’après-guerre du Barolo

Ce qui est intéressant avec une guerre dans le monde viticole, c’est que bien souvent, tout le monde y gagne ! Et nous le verront dans un prochain article, mais cette confrontation entre traditionalistes et modernes va permettre de trouver un terrain d’entente, et de continuer à porter le vin à des sommets.

Le Barolo Castiglione de Falletto, un cru du traditionaliste Mario Fontana

La conclusion de cette guerre est qu’en respectant les règles de l’appellation (avec notamment un vieillissement minimum de 38 mois, dont 18 en bois), de nouveaux styles sont arrivés, parfois à la frontière de ces deux cultures. La « guerre du Barolo » a permis également des avancées notables en viticulture et en vinification, ainsi que des fonds nécessaires à la création de nouveaux chais plus modernes. Ainsi, la qualité globale du Barolo a augmenté, rendant les vins plus cohérents d’une année sur l’autre et augmentant la réputation de la région sur la scène mondiale.

En 2024, nous le verrons, cette distinction entre modernistes et traditionalistes est maintenant beaucoup plus floue qu’avant. Certains domaines (tels que Cascina Fontana) restent plutôt traditionels, d’autres gardent l’esprit rebelle des Barolo Boys (comme Chiara Boschis ou Sandrone Luciano) et d’autres font un peu des deux (comme Marchesi di Barolo, Michele Chiarlo ou Giacomo Fenocchio). Cependant, chacun a su prendre le meilleur de chaque vision et adapter ses vins pour les faire grandir.

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